Oublions la morale: Tartuffe est avant tout un joueur absolu en quête d’une liberté totale. Il ensorcelle Orgon et le possède. Les autres membres de la famille vont tout tenter pour déclencher l’exorcisme...
Oublions la morale: Tartuffe est avant tout un joueur absolu en quête d’une liberté totale. Il ensorcelle Orgon et le possède. Les autres membres de la famille vont tout tenter pour déclencher l’exorcisme...
Guillaume Bailliart interprète le texte de Molière intégralement et seul en scène, faisant entendre la précision rythmique des vers et révélant l’époustouflante mécanique de la comédie.
Une table au centre de la scène, les noms des personnages écrits au sol: au milieu de ce procédé scénographique rudimentaire, Guillaume Bailliart prend son souffle, ferme les yeux et se lance. Sa diction précise nous entraîne dans le vertige de la langue de Molière et détaille ses rythmes, accélérations, gouffres, inventions et trouvailles. L’acteur incarne tour à tour chacun des personnages et désigne du doigt ses interlocuteurs·rices imaginaires. La pièce de Molière surgit exposant sa mécanique implacable de comédie tragique. Les images fusent, les tirades s’emportent, libéré du folklore historique, le texte semble s’inventer au fur et à mesure, les personnages surgissent comme en rêve, Tartuffe ne cesse d’éblouir un peu plus Orgon, et les un·e·s et les autres tentent de le ramener à la raison.
Plus qu’à une interprétation ou une adaptation aux résonances politiques et actuelles du chef-d’œuvre, c’est au surgissement poétique lui-même que Guillaume Bailliart s’intéresse. Il se place "à côté de Molière", tentant de recomposer les fulgurances littéraires de son cerveau d'auteur acteur. Il expose le texte littéralement, au plus près de la langue, s’appropriant avec rigueur la grande contrainte formelle des vers pour rendre compte de la force vitale de l’écriture, dans une performance théâtrale aussi virtuose que virevoltante.
Théâtre
Mercredi, mars 2, 2022 - 7:00pm | mer 02.03 | 19h00 |
Saison 21/22
|
Jeudi, mars 3, 2022 - 7:00pm | jeu 03.03 | 19h00 |
Saison 21/22
|
Vendredi, mars 4, 2022 - 8:00pm | ven 04.03 | 20h00 |
Saison 21/22
|
Samedi, mars 5, 2022 - 4:00pm | sam 05.03 | 16h00 |
Saison 21/22
|
Mercredi, mars 9, 2022 - 7:00pm | mer 09.03 | 19h00 |
Saison 21/22
|
Jeudi, mars 10, 2022 - 7:00pm | jeu 10.03 | 19h00 |
Saison 21/22
|
Vendredi, mars 11, 2022 - 8:00pm | ven 11.03 | 20h00 |
Saison 21/22
|
Samedi, mars 12, 2022 - 7:00pm | sam 12.03 | 19h00 |
Saison 21/22
|
TARIFS
de CHF. 5.- à 25.-
Par exemple: Tarif jeune étudiant·e, apprenti·e, 16/25 ans: dès CHF. 8.-
Metteur en scène et comédien
Guillaume Bailliart étudie au Conservatoire d’Avignon puis suit le cursus du compagnonnage-théâtre à Lyon jusqu’en 2002. Interprète pour Michel Raskine, Gwénaël Morin ou Fanny de Chaillé, il passe à la mise en scène et à l’écriture au sein de collectifs avant de fonder sa compagnie, le Groupe Fantômas, en 2013. Comme metteur en scène, acteur ou pédagogue, il s’intéresse particulièrement au jeu, à ses différents ressorts et à la capacité de rendre concret des mondes imaginaires. Tartuffe d’après Tartuffe d’après Tartuffe d’après Molière est le premier spectacle du Groupe Fantômas, créé en 2013 à la suite de l’expérience du Théâtre Permanent de Gwénaël Morin auquel Guillaume Bailliart prenait part et dont le présent spectacle s’est inspiré avant de s’en détacher. Il reviendra dans la seconde partie de saison de Vidy avec Désordre du discours, la conférence de Michel Foucault L’Ordre du discours mis en scène par Fanny de Chaillé dans un amphithéâtre universitaire.
Rencontre avec l'équipe artistique
Jeudi 3.03
à l'issue de la représentation
Texte
Molière
Conception et jeu
Guillaume Bailliart
Accompagné par
Christophe Ives
Mitsou Doudeau (en alternance)
Lumière
Jean-Martin Fallas
Crédit photo
Mathilde Delahaye
Production
Groupe Fantômas
Avec le soutien du
Théâtre de la Cité Internationale - Théâtre de l'Elysée-Lyon - Théâtre Théo Argence et Ramdam-Ste Foy lès Lyon
Propositions de lectures pour poursuivre le spectacle autrement (livres en vente à la librairie du Théâtre):
Je pense devoir fuir le numéro d’acteur. Je pense devoir rechercher la transe.
Il s’agit de jouer seul cette pièce de théâtre issue de notre folklore à partir de la version montée par l’équipe du théâtre permanent de Gwénaël Morin. Le souvenir de cette mise en scène est mon « repère flou », l’équivalent d’une tradition. Lentement, à force de micro-décisions prises dans l’exercice du jeu, le sens a bougé, la dramaturgie s’est transformée par la pratique, et par la pensée qu’elle déclenche. Ce processus de fabrication est extrêmement rudimentaire.
Dans Tartuffe de Molière, il est un jeu dans la langue : l’alexandrin, contraignant, agit comme un corset qui presse la pensée qui elle-même pousse la métrique pour essayer de vivre dans cette espèce de dictature formelle du vers. Ce conflit interne, dans la langue, me semble être une réserve d’énergie énorme, et particulièrement pour une version jouée en solitaire : seul on perd les rapports d’un acteur à l’autre mais on gagne en précision rythmique. Portés par un seul corps, les ruptures, les montées en pression, le souffle, éclairent le sens et la situation parce qu’on est dans l’énergie de l’écriture qui est une énergie globale (pensée pour plusieurs), démesurée, déclamatoire et forcément pas psychologique.
Je pense ainsi me rapprocher de l’auteur, du jaillissement de l’écriture, de trouver et de comprendre plus intimement qu’une troupe d’acteurs l’effort d’écriture, ses fulgurances, son énergie. Tartuffe (le personnage) est, si l’on ne lit pas la pièce d’un point de vue moral, le joueur absolu, il est en quête de liberté totale, n’obéissant qu’à ses désirs. Il organise les transgressions dont il a besoin pour arriver à ses fins. C’est une figure dionysiaque, pulsionnelle, il est ultra-conscient du contexte qui l’entoure. Il faudra une joueuse de son calibre, Elmire, pour augmenter le jeu, révéler l’envers du décor et provoquer l’exorcisme.
Je pense devoir fuir le numéro d’acteur. Je pense devoir rechercher la transe.
-Guillaume Bailliart
On sent bien que Molière est un écrivain-acteur et qu’il pense l’ensemble du jeu. Il écrit en fonction de son corps, l’écriture vient de là, et je m’appuie sur le jaillissement de cette écriture, sur son énergie. Et la vitesse m’aide à trouver l’énergie. Comme si c’était une écriture médiumnique, qu’il y avait un flux à trouver.
Quelle est l’origine de ce Tartuffe?
Guillaume Bailliart : Pendant le Théâtre Permanent de Gwenaël Morin, nous jouions Lorenzaccio. Dans la journée, on répétait Tartuffe. J’avais décidé de ne pas participer au théâtre permanent dans son entièreté, mais puisque j’étais là, payé, je les aidais à répéter. Il y a eu une crise. On s’est retrouvé avec un Tartuffe pas prêt à être montré. Je leur ai proposé de le lire tout seul sur scène pour que le contrat du théâtre permanent soit tenu. Pendant ce temps-là, ils répéteraient jusqu’à ce que la version soit prête. Je le lisais avec en magasin tout le travail fait en répétition, les choix scéniques, la voix des autres. Mon dispositif de lecture était simple : le nom des personnages était écrit sur des papiers et j’indiquais avec les doigts qui parlait, pour ne pas casser la rythmique.
C’est intéressant de jouer Tartuffe seul?
GB : Il y a un avantage de rythme. Par rapport à un groupe, on a la maîtrise des ruptures, du montage. Tel personnage met un temps là, parce que tel autre va accélérer. On peut faire apparaître les pensées, les émotions des personnages, mais d’un point de vue d’auteur-monteur.
Sauf que vous le jouez désormais sans le lire…
GB : Oui, le corps est en jeu : ça ouvre de nouvelles possibilités. Se déplacer, prendre des postures pour indiquer des figures. Au début, je pensais jouer tous les personnages dans l’espace. Comme si j’étais le fantôme de la mise en scène de Gwenaël Morin. Mais ça n’a pas marché : je me retrouvais à parler à moi-même, qui n’était plus là; je parlais dans le vide; les adresses étaient complètement floues. Je sentais que je me perdais. J’ai, par nécessité, fermé les yeux, et travaillé plus « en italienne » (dire le texte à haute voix rapidement et sans tension, sans « pré-jouer »). Je me suis mis plus à indiquer qu’à vraiment faire, comme si je marquais le jeu des personnages. Et j’ai retrouvé des sensations.
Être aveugle dans une pièce sur l’hypocrisie, ça a un sens.
GB : Oui, puisque la pièce repose sur l’image de dévot que Tartuffe renvoie à Orgon. Le verbe « voir » est un des verbes qu’on retrouve le plus dans la pièce : « mais regardez, » « mais voyez, » « je ne peux pas voir ». En pratiquant, fermer les yeux est devenu un outil de jeu, et une façon d’activer un des enjeux de la pièce.
Votre version de Tartuffe est assez comique, et d’un comique qui va crescendo.
GB : C’est aussi le mouvement de la pièce. Plus on avance, plus les enjeux deviennent vitaux, plus on entre dans la folie d’Orgon et dans la mise en place de la parade des autres personnages pour le déciller. Donc le comique est de plus en plus activé. D’autre part, les enjeux montent, gonflent, l’incarnation s’impose alors. Peut-être que je recherche comme une espèce de transe : une orgie d’alexandrins comme un plat à feu doux et qui petit à petit se met à bouillonner. Au fond, la pièce est comparable à un exorcisme. Comme si Tartuffe avait usé de magie noire pour enchanter Orgon et que les autres devaient essayer de le déposséder et qu’ils mettaient en place chacun leur tour une espèce de rituel pour y parvenir.
Pourquoi avoir choisi de jouer si vite « cette orgie d’alexandrins » au risque de rendre la compréhension un peu difficile au début ?
GB : Ce n’est pas vraiment un choix formel. D’abord je crois que j’ai pensé que si je me mettais à incarner chaque personnage, à prendre le temps, alors ça donnerait une sorte de « parade folklorique du cabotinage à la française ». Et puis aussi, il y a un mouvement de fond de l’écriture. On sent bien que Molière est un écrivain-acteur et qu’il pense l’ensemble du jeu. C’est parce qu’un tel s’énerve que l’autre se calme. Il écrit en fonction de son corps, l’écriture vient de là, et je m’appuie sur le jaillissement de cette écriture, sur son énergie. Et la vitesse m’aide à trouver l’énergie. Comme si c’était une écriture médiumnique, qu’il y avait un flux à trouver. Et pour trouver ce flux, je ne peux pas me permettre de m’arrêter à chaque personnage. Alors c’est vrai qu’au début, c’est un peu abrupt parce que, dans la première scène, il y a beaucoup de personnages, beaucoup d’informations sont données. C’est une scène d’exposition très astucieuse mais dense. Et puis ça se calme « narrativement parlant », la pièce se replace sur des canevas plus éprouvés, plus connus, classiques, avec deux ou trois protagonistes en présence. Parfois, je me dis que ce texte est comme un kata : un mouvement qu’on exécute depuis cinq cents ans et qu’on fait encore — et ça nous apprend des choses : à ceux qui le font et à ceux qui le regardent
Avec cette pièce qui parle des faux dévots, avez-vous une volonté de résonner avec l’actualité comme on l’entend souvent chez les metteurs en scène ?
GB : Non. C’est un amoncellement de circonstances qui m’ont donné envie de jouer Tartuffe, comme un jeu enfantin irresponsable, au sens où j’ai envie de le faire comme un château à huit tours sur une plage. En même temps, c’est un jeu d’adulte, car ce qui apporte de la jubilation, ce qui donne envie de jouer, ce sont les situations de la pièce, le sens, les mécanismes d’aveuglement, de tromperie, très bien disséqués par Molière. L’organisation du mensonge par le discours religieux est très instructif dans Tartuffe, évidemment ça résonne avec l’actualité, mais je n’en fais pas un étendard de justification.
-Propos recueillis par Stéphane Bouquet — juillet 2013
Avec l’aimable collaboration du Théâtre de la cité internationale