Chorales ou pas, les voix parlent d’amour et d’amour seulement. Pourtant personne ne se touche, et le gag se glisse dans tous les coins de ce foutoir réglé au millimètre.
Chorales ou pas, les voix parlent d’amour et d’amour seulement. Pourtant personne ne se touche, et le gag se glisse dans tous les coins de ce foutoir réglé au millimètre.
Précieux bijou musical, ce spectacle de Christoph Marthaler tire son titre d’un lit "king size", joliment calé dans des boiseries bourgeoises. Une chambre. Un espace de passage et d’attente où le metteur en scène peut déployer ses tactiques scéniques usuelles: lenteurs, répétitions, temps suspendus. Un petit monde de quatre personnes vaque là à ses occupations, tout en enfilant des chants, des mélodies, un patchwork qui va de fragments sériels à Bach en passant par les Jackson Five. D’Erik Satie à Boby Lapointe en passant par Robert Schumann. Avec les effets comiques du décalage entre partitions savantes et "hits" populaires. Chorales ou pas, les voix parlent d’amour et d’amour seulement. Pourtant personne ne se touche, et le gag se glisse dans tous les coins de ce foutoir réglé au millimètre. Un moment en pente douce, en sourdine, qui permet à Marthaler de faire délicatement jouer les ressorts comiques d’un décor de vaudeville. C’est à la fois hilarant et nostalgique. C’est une comédie de boulevard contaminée par un théâtre de l’absurde qui se résout en tour de chant.
Le sous-titre du spectacle parle de "substitution enharmonique". Soit une technique de composition permettant d’écrire un même son, à la même hauteur, de deux manières différentes: prenez par exemple un sol dièze et un la bémol. Selon Marthaler, dont toute la philosophie passe par la musique, sans ces enharmonies permanentes, rien ne serait possible entre les humains, et surtout pas les gestes d’amour, petits ou grands. Cette notion d’enharmonique suffit ainsi à pointer les moments d’union presque réussis, dans cette chambre presque romantique, en un temps presque accompli. Même si l’ambiance reste désespérément aux désuétudes et aux ratages. Comme toujours chez Marthaler, les interprètes sont saisissants de justesse: maîtrise du corps en mouvement, du chant, des attitudes. Sens du rythme qui fonde le burlesque, et qui permet à ces morceaux musicaux de tenir une narration aussi passionnante que volatile. Impossible en effet de raconter quoi que ce soit de ce spectacle, sinon en fredonnant "tout, tout pour ma chérie" de Polnareff, un sourire au coin des lèvres.
Tout Suisse a une petite idée de Christoph Marthaler à cause de l’inoubliable "Grüetzi wohl Frau Stirnimaa": un tube de 1969 produit par la bande à Marthaler et qui donne bien l’idée de son rapport aux airs populaires. Metteur en scène de renommée internationale, ce Zurichois demeure encore peu joué en Suisse romande. Il a pourtant dirigé le prestigieux Schauspielhaus de Zurich de 2000 à 2004, été artiste associé du Festival d’Avignon en 2010 et reçu l’Anneau Hans-Reinhart en 2011. Musicien de formation, passé ensuite par l’école Jacques Lecoq à Paris, il monte très jeune des collages qui mêlent la musique contemporaine savante, Erik Satie ou John Cage, aux chansons folkloriques suisses, sans bouder les classiques comme Bach ou Schubert. Il y a toujours des chœurs et des musiques de cabaret dans ses mises en scène. Maître du dérythmage, de l’ironie et du décalage, Christoph Marthaler a inventé une poésie scénique singulière, faite de paroles, de chants et de pantomimes. Fondée sur des presque riens qui peuvent devenir subversifs. Il sera de retour à Vidy la saison pro- chaine avec une version très person- nelle d’une pièce de Labiche, en français et en allemand.
Joué au Théâtre de Vidy du 12 au 14 mai 2014
Durée: 1h20
Contact et informations des tournées
Création Theater Basel le 8 mars 2013
Production: Theater Basel, Théâtre de Vidy
C’est déjà au Théâtre de Bâle, et déjà sur une pièce d’Eugène Labiche, que le metteur en scène suisse-allemand Christoph Marthaler travaille pour la première fois avec la scénographe Anna Viebrock. on est en 1991, et elle produit un premier lieu à jouer pour L’affaire de la rue Lourcine. S’ensuit une collaboration très étroite entre les deux artistes, qui s’alimentent l’un l’autre jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à cette Ile flottante. Et c’est en tandem aussi qu’ils pensent un nou- veau lieu pour le Schauspielhaus de Zurich, le Schiffbau, que Marthaler dirige de 2000 à 2004.
Depuis murx den europäer ! murx ihn! murx ihn ! murx ihn ab ! ein patriotischer abend (Bousille l’Euro- péen ! Bousille-le ! Bousille-le ! Bousille-le bien ! Une soirée patriotique) en 1994, Christoph Marthaler est une star du théâtre européen.
Il a reçu de nombreux prix et distinctions pour son théâtre musical toujours décalé, comme en suspens, qui use de la dérision pour dire
notre monde. Il a reçu l’Anneau Hans-Reinhart en 2011 et le Lion d'Or de la Biennale de Venise en 2015. Voir plus
Mise en scène:
Christoph Marthaler
Direction musicale:
Bendix Dethleffsen
Scénographie:
Duri Bischoff
Dramaturgie:
Malte Ubenauf
Costumes:
Sarah Schittek
Lumière:
Heidevoegelinlights
Avec:
Tora Augestad
Bendix Dethleffsen
Michael von der Heide
Nikola Weisse
Production :
Theater Basel / Théâtre Vidy-Lausanne
Avec le soutien de :
Pro Helvetia – Fondation suisse pour la culture