Entre utopie et dystopie, entre mélancolie et foi en l’imaginaire humain, entre une Démangeaison des ailes fondatrice, une Mélancolie des Dragons mémorable et un récent Chant de la Terre malhérien, il rassemble le savoir-faire de son équipe dans une fresque théâtrale inédite. Les œufs de Farm Fatale couvés par les épouvantails vont éclore, les astéroïdes de Cosmic Drama ont chuté en pleine forêt : le spectacle rassemble le bestiaire du Vivarium Studio comme les ami·e·s auteur·ice·s, poètes, philosophes ou musicien·ne·s qui gravitent autour de la compagnie.

Pour cette nouvelle aventure, Philippe Quesne engage un dialogue à cinq cents ans de distance avec le célèbre tableau de Jérôme Bosch, chef-d’œuvre de l’histoire de l’art aux interprétations infinies, marquant la transition entre le Moyen-Âge et la Renaissance. Le théâtre de Philippe Quesne comme le tableau partagent la même convocation libre d’un large champ de connaissances artistique, intellectuelle, spirituelle et politique.

Procédant par accumulation, amplification, détournement, parodie ou ironie, l’un et l’autre visent moins à résoudre qu’à créer le débat, via l’imaginaire, sur une gouvernance vertueuse et à venir ; le tableau comme le spectacle décrivent une époque de bouleversements, et l’on peut y lire une sévère critique de l’inconscience humaine qui mène à sa destruction autant que la réalisation espérée d’une vie collective harmonieuse. L’un et l’autre composent une fresque aux actions multiples aussi utopique que critique, dans laquelle l’imagination est mise au service d’un sentiment de joie lucide et de nouvelles perspectives pour les vies à venir.

Le Jardin des délices est le récit multiple et truculent d’un groupe d’humains rassemblé dans un lieu visiblement à l’écart du monde et qui entreprend de réaliser, au sens pratique et cinématographique, son utopie : une vie libre, sans séparation, sans distinction, dans laquelle les êtres et les espèces cohabitent en bonne harmonie. Comme à la fin du Moyen- Âge, la fable se situe dans une période de transition, en pleine métamorphose de ses récits et de ses savoir-faire.

Elles et eux ne distinguent pas le réel et l’artificiel, dont sont composés leurs paradis provisoires. Le fabuleux côtoie le concret, l’imaginaire a un usage pratique. Il faut creuser le sol pour trouver de l’eau qui devient une Fontaine de vie, par exemple. Les éléments naturels ou artificiels sont à la fois protecteurs et protégés.

L’intrigue suit plusieurs fils narratifs qui s’entrecroisent: ce pourrait être la recherche collective d’une forme de vie différente, solidaire et apaisée, avec ses rites et ses flibustiers au service de la cause, et peut-être ses pièges ; ce qui semble être le tournage d’un film façon Fellini dans Intervista, entre rushs de scènes tournées dans d’autres espaces naturels et reconstitution sur place et sur fond vert – au point que la distinction entre ceux qui jouent et réalisent le film et les habitants de ce lieu n’est pas évidente ; et la menace, toujours présente même si diffuse, d’une catastrophe, provoquée par un brutal changement du climat ou la destruction de cet espace de vie par des chasseurs ou des bulldozers – serait- ce le nom d’un nouveau lotissement à bâtir ?