Pour témoigner de la ville contemporaine et confronter l’espace confiné du théâtre au monde extérieur, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini, décrivent avec acuité les tensions, transports et renouvellements qui font l’espace urbain.
Pour témoigner de la ville contemporaine et confronter l’espace confiné du théâtre au monde extérieur, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini, décrivent avec acuité les tensions, transports et renouvellements qui font l’espace urbain.
Pour la première fois dans l’histoire, plus de la moitié de la population mondiale vit dans une ville; il y a cinquante ans, ce n’était qu’un tiers et huit personnes sur dix vivront dans une zone urbaine dans un siècle. La ville est l’espace de la modernité et le lieu de notre condition contemporaine.
Cette ville, nous l’habitons, nous la traversons, nous la quittons parfois pour mieux la retrouver, mais nous la regardons peu. Il y a tant de situations, de hasards, d’échanges ou d’incidents que nous n’avons pas vus, de petites ou grandes catastrophes qui se trament et que nous avons ignorées. Elle est aussi l’espace de la jeunesse et du futur, ou de l’absence de futur.
C’est pour témoigner de la ville contemporaine et pour confronter l’espace confiné du théâtre au monde extérieur que Daria Deflorian et Antonio Tagliarini entreprennent Il cielo non è un fondale. A la façon de Peter Handke ou d’Annie Ernaux, leur art de la présence et de la parole s’immisce dans l’espace fragile, intense et incertain qui relie la fiction au réel. Ils explorent la mémoire déposée en chacun de nous par l’expérience de la ville et la vitalité de ses habitants. L’ici et maintenant de la représentation révèle alors quelque chose de l’ailleurs et de l’autre. Les portes du théâtre sont grandes ouvertes à l’air vif de la vie urbaine et la pièce décrit avec acuité les tensions, transports et renouvellements qui font la ville, notre espace commun et partagé.
Mercredi, novembre 16, 2016 - 7:30pm | mer 16.11 | 19h30 |
|
Jeudi, novembre 17, 2016 - 7:30pm | jeu 17.11 | 19h30 |
|
Vendredi, novembre 18, 2016 - 7:30pm | ven 18.11 | 19h30 |
|
Samedi, novembre 19, 2016 - 2:00pm | sam 19.11 | 14h00 |
|
Samedi, novembre 19, 2016 - 6:00pm | 18h00 |
|
|
Dimanche, novembre 20, 2016 - 4:00pm | dim 20.11 | 16h00 |
|
Tarif M
PARCOURS VIDY
Enchaînez Il cielo(...) et Yoshtoyoshto et bénéficiez du tarif S pour la 2e représentation
19.11 Acheter
Metteurs en scène
Installé·e·s à Rome, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini travaillent ensemble depuis 2008. Elle est auteure et comédienne (Prix Ubu pour son interprétation dans L’Origine del Mondo et dans Reality) ; il est auteur, performeur et chorégraphe. Issu·e·s du monde de la performance, ils·elles signent des spectacles qui cherchent à renouveler le lien scène/public, troublant sans cesse les frontières entre répétition et représentation, réalité et fiction. Leurs créations, aussi simples que percutantes, reçoivent un accueil public et critique enthousiaste dans toute l’Europe. À Vidy, ils ont présenté en 2016 Reality, Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni et Il cielo non è un fondale.
Texte et mise en scène:
Daria Deflorian
Antonio Tagliarini
Collaboration au projet:
Francesco Alberici
Monica Demuru
Lumière:
Gianni Staropoli
Costumes:
Metella Raboni
Construction du décor:
Ateliers du Théâtre de Vidy
Assistanat mise en scène:
Davide Grillo
Direction technique:
Giulia Pastore
Avec:
Francesco Alberici
Daria Deflorian
Monica Demuru
Antonio Tagliarini
Accompagnement et diffusion internationale:
Francesca Corona
Organisation:
Anna Damiani
Production:
A.D – Sardegna Teatro, Cagliari – Teatro Metastasio - Stabile della Toscana, Prato – ERT/Emilia Romagna Teatro
Coproduction:
Théâtre de Vidy – Odéon - Théâtre de l’Europe, Paris – Festival d’Automne à Paris – Romaeuropa Festival, Rome – Sao Luiz - Teatro Municipal de Lisboa, Lisbonne – Festival Terres de Paroles, Rouen - Théâtre Garonne, scène européenne, Toulouse
Avec le soutien de:
Teatro di Roma
Avec la collaboration de:
Laboratori Permanenti, San Sepolcro – Carrozzerie Not, Rome – Fivizzano 27, Rome
Création à Vidy
9.12 - 18.12.2016 | Odéon - Théâtre de l'Europe, Paris |
Introduction au spectacle une heure avant le début de la représentation
Rencontre avec l'équipe artistique à l'issue de la représentation
"« Quand j’écris, je n’ai pas l’impression de regarder en moi, je regarde dans une mémoire. Dans cette mémoire, je vois des gens, je vois des rues. J’entends des paroles et tout cela est hors de moi. Je ne suis qu’une caméra. J’ai simplement enregistré » dit Annie Ernaux dans un entretien."
Quand l’on est dans une maison et dehors il pleut, que pensons-nous de l’homme qui reste sous la pluie?
Pendant longtemps nous avons transformé le monde dans notre maison de campagne, ou dans une maison à la mer: son "dehors" son extériorité, n’était qu’une vacance dans le sens propre du terme - un vide qui s’ouvrait en nous, une fuite par l’habitude, par l’ennui et le stress de la vie que normalement nous conduisons dedans, entre les murs, à la foi inquiétants et rassurantes des maisons, des bureaux, des cinémas, ou des théâtres.
Les rues et les villes mêmes, disait-‐il le Benjamin des "Passages" parisiens, deviennent des salons pour le bourgeois européen, quand son intérieur se penche vers le monde comme depuis un balcon à l’Opéra?
Nous vivons tous, dans cette condition que, selon Albert Camus, remplace la vie intérieur avec la vie d’intérieur.
Nous sommes décontenancés lors qu’on voit à la télévision les images des réfugiés débarquer sur les plages de la Méditerranée.
A travers l’image du réfugié encapuchonné (que pour tout le territoire a son propre corps?), on voit resurgir le fantôme d’une vie nue de laquelle on pensait être sorti, et la même sensation, le même transfert, nous bascule aussi devant le clochard qui dort au coin de la rue, devant le vieux qui marche à fatigue avec ses courses.
La découverte soudaine de la précarité de nos avantages?
A travers ces "spectacles", notre intimité se sent menacée: on n’a pas des relations avec la nudité de l’homme sans maison, sans citoyenneté, Elle se manifeste prêt de nous, mais ça reste toujours trop distant. Son entrée dans notre espace nous éloigne de nous même au moins avec l’imagination, son exposition nous expose.
Ce ciel qu’on croit nous protéger, vers lequel on soulève le regard avec de la nostalgie, se tourne contre cet home seul avec la froideur d’une chute de grêle. Pendant ces moments, ce ciel n’est pas sa maison, mais sa prison.
Le ciel n’est pas une toile de fond, en dépit de la négation évoquée par le titre, veut renforcer le dialogue entre l’espace de la fiction et l’espace extérieur, le réel. Il s’agit d’un dialogue de plus en plus nécessaire. De plus en plus, on suffoque dans l’air confiné du training et de la salle de répétitions où après peu de temps on s’aperçoit que la vie est ailleurs. Il nous faut essayer d’abattre ces parois. Toutes les parois, et pas seulement le quatrième mur qui obsède le théâtre; notre premier geste est de tous les abattre, le geste d’entrée sur scène. Nous sommes hors de nous mêmes. La vie collective nous révèle.
"Quand j’écris, je n’ai pas l’impression de regarder en moi, je regarde dans une mémoire. Dans cette mémoire, je vois des gens, je vois des rues. J’entends des paroles et tout cela est hors de moi. Je ne suis qu’une caméra. J’ai simplement enregistré" dit Annie Ernaux dans un entretien.
L’oeuvre de cette autrice nous a amenés dans cette enquête, nous donnant la possibilité d’observer, déchiffrer, et reconstruire cette perpétuelle osmose entre dedans et dehors, et les déplacements du sens entre ce que nous sommes et ce qu’il se passe autour de nous.
Daria Deflorian et Antonio Tagliarini
par Chiara Pirri pour le festival Romaeuropa
Après avoir présenté en Italie et à l’étranger Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni (On s’en va pour ne pas vous donner plus de soucis), un spectacle coproduit par Romaeuropa en 2013 et lauréat du prix Ubu 2014, Daria Deflorian et Antonio Tagliarini reviennent au festival pour présenter, en première nationale, leur nouvelle création. Il cielo non è un fondale a pour personnage principal la toile de fond, cet équilibre de forces invisibles, le paysage d’où nos vies quotidiennes partent, pareilles à des plantes, là où les sentiers privés s’entrelacent pour donner vie à un cadre animé. L’analyse de la relation entre le contexte, le réel et son interprétation, autrement dit la construction du "je" était déjà au centre du travail de Deflorian et Tagliarini ; dans ce dernier spectacle, elle occupe une place encore plus importante. Si, comme le dit Jean-Jacques Rousseau, "notre vrai moi n’est pas tout entier en nous", il est vrai qu’une part de nous est à lire et à rechercher dans ce ciel (lequel est tout sauf une toile de fond), dans cet enchevêtrement de relations matérielles et immatérielles, dans ce contexte qui émerge et où les silhouettes s’estompent.
Par quel cheminement êtes-vous arrivés à Il cielo non è un fondale après Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni, votre dernier spectacle, qui a été un grand succès tant auprès du public que de la critique? Quels questionnements, quelles urgences, quelles rencontres littéraires et concrètes vous y ont amenés?
Il cielo non è un fondale est né durant Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni, au moment où, pendant le spectacle, nous nous demandions dans quelle mesure nous pouvions restituer au théâtre l’image de quatre retraitées grecques et leur geste (un suicide causé par la crise économique qui afflige tout notre pays) sans "faire parler" le contexte. Cette question que nous nous posions est maintenant au cœur de notre nouveau projet.
Ce questionnement, en fait, était déjà dans Reality: Janina Turek, sa biographie, son journal intime, sont indissociables de l’histoire de la Pologne des années 1940 à 2000. Entre le personnage et la toile de fond, le sujet et le contexte, se noue une relation qui nous intéresse beaucoup. C’est ce constat qui nous a amenés à mettre le fond au premier plan.
Parmi les nombreuses rencontres que nous avons faites, celles avec Annie Ernaux et Winfried Georg Sebald ont été fondamentales, même si dans notre travail, elles n’apparaissent pas à première vue. La capacité désarmante qu’a l’écrivaines française d’observer le monde à travers le récit qu’elle fait d’elle-même, sans aucun filtre... la puissance avec laquelle, en racontant un paysage, Winfried Georg Sebald réussit à nous plonger dans l’histoire complexe et stratifiée qu’est la sienne, en tirant presque des images de sa plume... ces lectures ont eu un effet révélateur.
La phrase de Jean-Jacques Rousseau avec laquelle Annie Ernaux choisit d’ouvrir son Journal du dehors, à savoir: "notre vrai moi n’est pas tout entier en nous", nous avons tenté de l’habiter théâtralement. Il nous est tout de suite apparu clairement qu’il n’y avait pas de frontière nette entre l’intérieur et l’extérieur, que ces deux mondes ne cessent de s’entremêler.
Entre nos premières réflexions et le spectacle, beaucoup de choses se sont intercalées: de nombreuses lectures (toujours plus larges, sans avoir cette fois un livre de prédilection), autant de rencontres (nous avons fait beaucoup d’ateliers sur ces thématiques) et deux spectacles in situ (Il posto en 2014 et Quando non so cosa fare cosa faccio en 2015). Pendant cette période, nous avons croisé le chemin de nombreuses personnes, dont Francesco Alberici, et noué une première collaboration avec Monica Demuru, aussi avons-nous choisi de travailler avec eux.
Dès le début de la longue période de répétitions, il était clair que le paysage qui nous touchait le plus, dont nous savions le mieux parler, était celui de l’humain. Entre tous les lieux, les thèmes, les questions, la problématique de la cohabitation, du contact avec les autres nous a très vite offert la matière qui nous semblait la plus intéressante.
Parmi les nombreuses questions que nous nous sommes posées, une en particulier nous a occupés tout au long du processus de création : quand nous sommes à la maison, que pensons-nous de l’homme dehors sous la pluie? Si, dans le spectacle précédent, ce qui nous entourait et nous pressait était la crise économique, le renoncement à l’idée d’un avenir meilleur, la précarité, avec Il cielo non è un fondale, nous avons continué à explorer le rapport complexe qu’il y a entre nous et le monde.
Comment peut-on aujourd’hui ne pas s’interroger sur les flux migratoires de dizaines de milliers de personnes qui abandonnent en masse tout ce qu’elles ont pour fuir une situation invivable, la guerre, la misère? Comment le faire à travers notre lorgnette de privilégiés?
Dans Ce ne andiamo per non darvi altre preoccupazioni, la réalité sert de toile de fond et de moteur au spectacle, elle pousse et hurle mais reste à l’extérieur, cantonnée à un ailleurs, hors de la scène. De quelle façon cette nouvelle production se confronte-t-elle au réel et au quotidien?
Pendant les répétitions, quelque chose d’imprévu nous est arrivé : nous avions pris comme frontière fondamentale l’expérience directe, en utilisant donc quantité de matériel autobiographique ou, en tout cas, personnel. Malgré cet ancrage, le travail a décollé aussitôt que nous avons décidé de partir d’un rêve.
Nous parlons de précarité et de privilèges, de chutes, de faillites, d’accidents, de peurs. Nous parlons du besoin d’avoir des appuis, de faire des rencontres, même fugaces, qui deviennent des révélations, mais cette dimension réelle, quotidienne, est contaminée par le rêve. Nous avons ainsi pu rentrer plus facilement dans la réalité de l’Autre, nous approprier quelque chose qui ne nous concernait pas directement, accueillir des chansons à l’intérieur du texte, accéder à des plans différents sans devoir nous soucier de la linéarité de l’espace et du temps. Dans les rêves, tout cohabite dans un présent crédible, tout est vrai et en même temps pas vrai. Même le pacte avec les spectateurs prend un peu cette tournure : nous leur demandons de dépasser leur impression première et de regarder la même chose encore et encore. Pour nous, la première action possible, pour ce qui est du rapport aux autres, c’est l’activation du regard.
La phrase "Le ciel n’est pas une toile de fond" est une métaphore magnifique, tranchée, mais aussi un avertissement. À qui s’adresse-t-elle?
Quand nous avons lu cette phrase, "Le ciel n’est pas une toile de fond", dans un livre de Carla Benedetti, nous avons décidé d’en faire le titre de notre spectacle. C’est ce qui a déclenché le projet. Une phrase simple mais qui pouvait entrer en résonance avec ce qui est pour nous une question d’ordre éthique et esthétique. Il n’y a pas d’avertissement. Mais s’il y a une volonté, c’est de régler les comptes uniquement avec ce que nous connaissons réellement. L’expérience directe, aujourd’hui, est toujours plus limitée par rapport à l’expérience indirecte, rapportée, racontée. Quand nous parlons, parlons-nous de choses que nous connaissons réellement ou de choses dont nous avons seulement entendu parler?
La première fois que nous avons pris l’avion, nous avons tous vu disparaître le bleu du ciel à mesure que nous entrions dedans. C’est pourtant à cette couleur, au bleu, que nous identifions le ciel dans notre représentation. Quand on est dedans, il ne reste du ciel que l’atmosphère. Ce n’est que de loin que le ciel paraît quelque chose d’autre que l’air que nous respirons. C’est ce qu’est le théâtre, à sa façon. Si le spectacle est une construction, une fiction indispensable pour que la rencontre avec les spectateurs puisse avoir lieu, le théâtre décolle - pas toujours hélas - du spectacle. Le théâtre, c’est une rencontre. C’est quelque chose qui se passe, une chose qu’on ne peut répéter ni définir, mais que nous reconnaissons dès qu’elle se produit, parce que le théâtre est vivant et il nous rend vivants.