Autrement dit, comment inventer aujourd’hui, comment "habiter le présent" et rêver l’avenir, nourris par des héritages que nous devons ressaisir et transformer. Editorial de Vincent Baudriller
"Hériter et créer": c’est avec ces deux verbes que nous abordons la deuxième partie de saison. En écho au pavillon "Eduquer et créer" de l’exposition de 1964 dessiné par Max Bill pour lequel Vidy a été construit, ils donnent suite au "Jouer et penser in italiano, auf deutsch, en français, in english" qui avait inauguré la saison 15/16 sous le regard d’un Indien amazonien.
Depuis septembre, votre réponse aux propositions de Vidy est forte: à travers votre présence nombreuse aux spectacles comme aux débats avant et après les représentations, et lors des riches échanges et discussions qui animent La Kantina du théâtre. Les premiers spectacles de cette saison étaient liés par la question "Face à l’autre, face à soi" qu’avait introduite la conférence de l’anthropologue Mondher Kilani. Les enjeux de la rencontre avec l’autre, avec l’étranger et le différent, résonnent intensément devant la nécessité d’ouvrir nos frontières et nos villes, aujourd’hui et dans les années à venir, pour accueillir les personnes forcées de quitter leur pays à cause de guerres, de crises économiques et politiques ou bientôt de bouleversements climatiques.
Ce dialogue avec les langues et les cultures qui se rencontrent en Suisse se poursuit dans la deuxième partie de saison avec la présence croisée d’artistes italiens et tessinois, allemands et suisse-alémaniques aux côtés d’artistes francophones.
"Hériter et créer". Autrement dit, comment inventer aujourd’hui, comment "habiter le présent" et rêver l’avenir, nourris par des héritages que nous devons ressaisir et transformer.
Cette question taraude les personnages de Tchekhov – ceux de La Mouette que Thomas Ostermeier met en scène en français ou ces Trois soeurs que l’auteure allemande Rebekka Kricheldorf transpose à notre époque – comme ceux du Déjeuner chez Wittgenstein de Thomas Bernhard ou celui du Mage en été d’Olivier Cadiot et Ludovic Lagarde. Elle est aussi au coeur des conférences Nie wieder Krieg ! de l’historien de l’art Matthieu Jaccard.
L’acte de création est souvent un acte de révolte pour sortir des cadres hérités et figés, pour dénoncer l’état du monde et ouvrir de nouveaux chemins. Plusieurs metteurs en scène invités à Vidy questionnent l’héritage de grands artistes qui ont marqué le XXe siècle par leur refus du statu quo : Thomas Bernhard avec Séverine Chavrier, Jean Genet avec Arthur Nauzyciel, Rainer Werner Fassbinder avec Falk Richter et Stanislas Nordey, ou encore Elias Canetti avec Heiner Goebbels qui revient avec Eraritjaritjaka. Parce qu’il s’agit pour ces artistes de prolonger autant que questionner l’oeuvre de leurs aînés, nous avons mis en exergue à ces spectacles du printemps une phrase des Feuillets d’Hypnos de René Char, autre auteur résistant qui traversa le siècle dernier : "Notre héritage n’est précédé d’aucun testament."
Pour poursuivre la dynamique amorcée cet automne, les prochains mois sont marqués par deux temps forts, deux séquences de spectacles rassemblés sur quelques jours dans les quatre salles de Vidy, avec des horaires aménagés afin de pouvoir les enchaîner dans une atmosphère festivalière et festive.
En juin, nous poursuivons notre grande traversée de l’oeuvre de la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker avec Vortex Temporum – sur la musique de Gérard Grisey – et avec le projet participatif "Re:Rosas!" où chacun est invité à apprendre un passage de la chorégraphie Rosas danst Rosas et à venir l’interpréter en public le 15 mai pour la Fête de la Danse. En clôture de saison, Massimo Furlan nous fait vivre la Slow Life le temps d’une soirée dédiée à de multiples performances et installations étranges, inédites à Lausanne. La saison théâtrale continue à Vidy, entrez dans la danse !